Les nuits de la Révolution française – Clermont-Ferrand, 5-6/9/2011

Les nuits de la Révolution française

Clermont-Ferrand (Francia), 5-6 settembre 2011

Colloquio

Organizzato da: Centre d’Histoire «Espaces et Cultures» (Université Clermont II); Société des Etudes Robespierristes; Institut d’Histoire de la Révolution française (Université Paris 1-Sorbonne)

Info: Clermont-Ferrand (63000), Maison des Sciences de l’Homme, 4 rue Ledru (salle 332). Renseignements au secrétariat du Centre d’Histoire “Espaces et Cultures”: 04 73 34 68 48; or Philippe Bourdin (philippe.bourdin@cegetel.fr); or www.univ-bpclermont.fr/chec/rubrique11.html

Comité scientifique: Michel Biard (Université de Rouen), Philippe Bourdin (Université Clermont II), Alain Cabantous (Université Paris I-Sorbonne), Hervé Leuwers (Université Lille III), Michel Pertué (Université d’Orléans), Pierre Serna (Université Paris I-Sorbonne).


Presentazione e Programma

 

PRESENTATION

Les travaux de Simone Delattre (Les Douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 2000) et d’Alain Cabantous (Histoire de la nuit, XVIIe-XVIIe siècle, Paris, Fayard, 2009) ont montré tout l’intérêt des études sur ce moment si particulier qu’est la nuit dans la vie privée et collective des individus, pour leur vécu comme pour leur imaginaire. Le second s’est attaché, au carrefour de l’histoire des mentalités, de l’anthropologie et de l’histoire sociale, à analyser les interactions subtiles et complexes entre les systèmes de représentations et les enjeux sociaux de la nuit dans une Europe du Nord-Ouest et du Sud qui fait la part belle à la France, au Royaume-Uni, à l’Espagne et à l’Italie. Il mobilise les sources les plus diverses pour démonter la construction idéologique, mentale et littéraire de l’espace-temps nocturne, avant de le peupler des pratiques qui lui sont propres (travail, veillées, fêtes, sexualité), et de marquer l’ « invention de l’intimité ». Le repli nocturne dans la chambre à coucher devient ainsi un indice essentiel du changement de civilisation, qui voit s’affirmer l’« individu » au sens « moderne » tandis que l’onirisme perd progressivement son aspect mystérieux, voire sacré, pour n’être plus qu’une production personnelle liée à la vie corporelle (les humeurs notamment). Si John Wesley, fondateur du méthodisme, mène des combats imaginaires contre des taureaux furieux, l’Église de la Réforme catholique évacue les « songes divins », et avec eux tout ce qui pourrait mettre en relief l’individu face à l’institution (songes, mystique, possession diabolique). Malgré des efforts soutenus, elle ne parvient pas à éradiquer totalement au XVIIe siècle les liturgies nocturnes – et en use même dans le bassin méditerranéen pour rendre plus édifiantes les missions et les processions, pour maintenir l’ordre croyant par des oraisons crépusculaires, la dévotion des 40 Heures, la fête de Saint-Jean-Baptiste et la nuit de Tobie. Ainsi demeurent des mariages, des funérailles des hautes couches de la noblesse, qui exprime là une volonté de distinction sociale en phase avec la sensibilité baroque et un libre choix jusqu’aux instants ultimes, lit et tombeau se rejoignant dans la métaphore du  sommeil éternel. Pouvoirs et institutions font pourtant progresser la dénonciation « d’une nuit chargée de figures répulsives, condamnables, dangereuses » (discours démonologique, édification par les juristes d’un droit spécifique), qui amènent à s’interroger sur la réalité des « déviances », du tapage nocturne aux bandes de voleurs, en passant par les duels et les vols de cadavres. Quadrillage et surveillance du territoire urbain, progrès de l’éclairage disent les efforts des pouvoirs publics et policiers pour mieux contrôler une cité qui n’est jamais totalement endormie, tandis que le Prince use de la métaphore et de l’allégorie pour se faire, en des fêtes royales nocturnes, le maître de la lumière, quand il ne se divertit pas dans les bals, les masques, les concerts, les jeux de société, les soupers fins – qui, depuis le Régent, vont être imités progressivement au cours du XVIIIe siècle par les aristocrates puis les bourgeois fortunés. L’investissement ludique de la nuit conduit à une multiplication des lieux de spectacles (théâtres, concerts, opéras, jeux, bals), de consommation (cabarets), de convivialité (promenades, cercles, sociétés), non sans des pratiques propres à la société juvénile.

Empruntant son titre à Victor Hugo, Simone Delattre a, elle, mené son enquête sur Paris, portant son intérêt sur une histoire des faits, du social et de leurs représentations,  du temps et des façons de le vivre, des lieux de plaisir et de loisirs, des anxiétés bourgeoises, et aussi d’une sensibilité qui s’affine, d’une réceptivité croissante à la nuit (valorisée par la sensibilité romantique, par les « contemplateurs élitistes de la nuit », les noctambules et la bohème oisive qui s’encanaille). Non sans marquer des transitions entre un premier XIXe siècle, moment de transition entre la nuit « indomptée » de type ancien, nuit libre, nuit anarchique dont Mercier ou Restif de la Bretonne se font les chantres, et la normalisation progressive de la nuit parisienne entre 1830 et 1860, au fil de la diffusion de l’éclairage au gaz de Rambuteau à Haussmann, comme sous la contrainte du couvre-feu imposé à la multitude, quand le roman populaire fait de l’anxiété un poncif. Dans une capitale surpeuplée, effervescente, l’obsession sécuritaire au détriment des « classes dangereuses » et l’affirmation du droit au repos, à la protection du privé, justifient la circulation nocturne des patrouilles grises (de policiers en bourgeois) de la Restauration, celles d’une Garde nationale sous la monarchie de Juillet. Elles ont surtout pour effet de repousser les problèmes et les frontières des espaces criminels au-delà des barrières (dans la banlieue puis la zone, ce Paris demeurant obstinément ombreux et désordonné, propice aux bandes qui sévissent en 1826, puis 1836-1839), tandis que prostitution et homosexualité sont réprimées au Palais-Royal et sur les Champs-Élysées.

Alors même que plusieurs champs du savoir peuvent être mobilisés  (histoire urbaine, sociale, politique, culturelle, littérature, histoire de l’art et musicologie), les interactions entre ce temps de l’ombre et la Révolution n’ont quasiment pas été étudiées. Elles ne peuvent pourtant être bénignes en ce moment de « régénération » qui produit un nouveau calendrier, une nouvelle heure, républicaine et décimale, et perturbe donc physiquement et symboliquement les rythmes du quotidien. Elles le sont encore moins si l’on veut bien considérer que les journées révolutionnaires connaissent leurs pendants nocturnes : nuits du 12 au 13, du 14 au 15 juillet 1789, Grande Peur, nuit du 4 Août, du 5 au 6 octobre 1789, de Varennes, du 9 au 10 Août 1792, massacres de Septembre, révolte des esclaves de Saint-Domingue dans la nuit du 22 au 23 août 1791 ; on en passe … Ces événements, s’ils héritent de formes anciennes de protestation et de violence (telle la punition par le feu, les charivaris, les processions carnavalesques), imposent aussi au cœur de l’événement une présence populaire et fantasmagorique, innovent aussi dans les pratiques (justice expéditive, pendaison à la lanterne, investissement des châteaux). La nuit est aussi le moment du complot, des conjurations nobiliaires ou républicaines. Elle est indissociable de l’aménagement du nouvel espace politique et judiciaire, des questions du maintien ou de l’encadrement de l’ordre public, depuis la fondation des gardes nationales jusqu’à l’utilisation politique de ses représentations effrayantes (les visites domiciliaires diligentées en l’an II par les comités de surveillance sauront user pour impressionner des heures les plus avancées). On sait combien  les pouvoirs, les sections, les sociétés populaires, disent siéger en permanence, sans que l’on ait jamais bien mesuré ce que cette proclamation signifiait quant aux modalités des décisions prises après le coucher du soleil, aux conséquences sur le monde du travail dans les couches de la sans-culotterie parisienne ou provinciale.

Car la vie laborieuse (celle des cabaretiers, des boulangers, des forts des Halles, des transporteurs, des balayeurs, des chiffonniers, des migrants, des déménageurs « à la cloche de bois », des écrivains et des artistes, des prostituées, etc.), la vie tout court, ne s’arrête pas lorsque luit l’astre lunaire, très différente de la campagne à la ville. Dans la première, quand la veillée ne réunit pas, les messes clandestines, les processions, les grands combats de la Vendée et du pays chouan, le brigandage peuvent encore mobiliser et percer l’obscurité de chants et de cris de ralliement à dessein inventés ; et l’on n’aura garde d’oublier les bivouacs militaires, les campements de fortune en des territoires souvent lointains et presque toujours inconnus. Dans la seconde, où se développent dans le secret les réseaux de la contre-révolution ou de l’Église réfractaire, les progrès de l’éclairage tentent de prolonger le jour : invitant à communier dans un même idéal, les fêtes, les banquets et les spectacles (dont les salles sont multipliées pendant la Révolution) attirent des foules considérables. Ces derniers mettent eux-mêmes en scène des éléments symboliques et rhétoriques de la nuit (la cave, le souterrain, l’ombre), tels que les affectionnent à la même époque le roman noir, la littérature enfantine édifiante, le théâtre patriotique, les opéras, le mélodrame ou les drames à sauvetage. Le dessin, la peinture, la gravure, la caricature en rendent compte, soit qu’ils enferment dans un univers privé de lumière les ennemis de la Révolution, antiphilosophes ou prêtres obstinément réfractaires, où les allégories du crime (pensons au Phrosine et Mélidore de Prud’hon), soit qu’au contraire ils renvoient la Révolution aux ténèbres, néant ou chaos d’où sortira la restauration catholique et royale, selon les théories développées notamment par Joseph de Maistre.

Abordant les questions de la nuit politique et de l’ordre public, du travail nocturne, de la criminalité du crépuscule, des cultes clandestins, des soirées culturelles, des fantasmes littéraires et artistiques, le colloque ne négligera pas les comparaisons avec les nuits rébellionnaires ou révolutionnaires des années 1770 (Gordon Riots, révolution américaine, révoltes bataves et brabançonnes) et avec les révolutions de 1830 et 1848.

 

PROGRAMME

Première demi-journée

9h00 : Introduction

I. Le temps de l’action politique

– 9h15 : Alain Cabantous (PR, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne), La Nuit comme dramaturgie révolutionnaire. L’exemple des Gordon Riots (Londres, juin 1780).

– 9h35 : Sébastien Pivoteau (Doctorant, Université Blaise-Pascal), Mythes et réalités des investissements nocturnes de châteaux lors des soulèvements ruraux. L’exemple des « Illuminations arpajonnaises » de mars 1792.

– 9h55 : Côme Simien (Master 2, Université Blaise-Pascal), La nuit : temps de la violence ou du retour à l’ordre ? Le cas des massacres de Septembre 1792.

10h15-10h45 : discussion et pause

-10h45 : Valérie Sottocasa (MCF, Université de Toulouse-Le Mirail), Les protestations populaires et la nuit.

– 11h05 : Anne Rolland (MCF, Université Catholique de l’Ouest), Les nuits de la Vendée militaire.

– 11h25 : Samuel Guicheteau (docteur en histoire, Université de Rennes),  « La force armée n’arriva qu’à la nuit ». L’agitation libérale et nocturne à Nantes et à Rennes en juin 1820.

– 11h45 : Jean-Claude Caron (PR, Université Blaise-Pascal), Que font les révolutionnaires la nuit… ? Enquête sur le Paris nocturne de juillet 1830 et de février 1848.

12h05-12h30 : discussion

Deuxième demi-journée : II. Les travaux de la nuit

– 14h30 : Olivier Accarie (Doctorant, Université Paris IV-Sorbonne),  Les heures indues de la Terreur : le commissaire de police et les acteurs de la nuit entre 1793 et 1794.

– 14h50 : Julien Saint-Roman (Doctorant, Université d’Aix-en-Provence), Un ordre ouvrier à travers la nuit : les Commissaires des ouvriers de l’arsenal de Toulon en 1793.

– 15h10 : Romain Grancher (doctorant, Université de Rouen, GHRIS), La réglementation de la pêche de nuit en Seine Inférieure (1803-1814) : modalités, enjeux, résistances.

15h30-15h40 : pause

– 15h40 : Philippe Bourdin (PR, Université Blaise-Pascal), Une nuit à l’hôpital : ordre social, clandestinité et déviances.

– 16h00 : Paul Chopelin (MCF, Université Lyon III), Les nuits de l’Église réfractaire.

16h20-17h : discussion

19h-21h : Séance de nuit au Manoir de Veygoux (maison natale du général Desaix)

Visite d’exposition, concert par les musiciens de l’Orchestre universitaire de Clermont-Ferrand, banquet républicain.

Bruno Ciotti (docteur en histoire, CHEC), Nuits révolutionnaires, nuits guerrières.

Patrice Bret, Les nuits égyptiennes.

Dominique Messineo (ATER, Université d’Orléans), Les bals de la jeunesse dorée entre décadence et provocations : aux origines de la guerre sociale sous Thermidor.

Troisième demi-journée : III. Sociabilités nocturnes

– 9h00 : Guillaume Mazeau (MCF, Université Paris-I-Sorbonne), Révolutionner la nuit : politique et pyrotechnie pendant la Révolution française.

– 9h20 : Cyril Triolaire (Docteur en histoire, Université Blaise Pascal), Faire la nuit. Révolution de jeux de lumières sur scène.

– 9h40 : Geneviève Lafrance (PR,  Université du Québec à Montréal), Les dernières nuits d’un détenu. Passe-temps nocturnes dans les prisons de la Terreur.

– 10h00-10h30 : discussion et pause

– 10h30 : Serge Aberdam (Docteur en histoire, INRA),  À l’heure des repas fraternels.

– 10h50 : Laure Hennequin-Lecomte (Docteur en histoire, Université Marc-Bloch de Strasbourg), « À l’amitié et à la vertu » : les nuits révolutionnaires de la société de la Dui au château de Vizille.

– 11h10 : Guillaume Garnier (doctorant, Universités de Poitiers et de Genève), Du sommeil par le citoyen Chabert : une « saine physiologie ».

– 11h20 : Michel Biard (PR, Université de Rouen), Un bonnet peut en cacher un autre… La symbolique du bonnet de nuit au temps de la Révolution.

11h40-12h10 : discussion

Quatrième demi-journée : IV. Imaginaires et représentations

– 14h00 : Barbara Innocenti (Université de Sienne, Italie), « Les auteurs classiques ont plongé la France dans une nuit éternelle… » : le théâtre révolutionnaire entre construction du « nouveau soi » et représentation de la « réalité ».

– 14h20 : Françoise Le Borgne (MCF, Université Blaise-Pascal), Le « Genre sombre » dans les Nuits révolutionnaires de Rétif de La Bretonne.

– 14h40 : Marie-Emmanuelle Plagnol (PR, IUFM de Créteil), Nuits suspectes et veillées édifiantes dans la littérature enfantine.

– 14h40-15h30 : discussion et pause

– 15h30 : Pascal Dupuy (MCF, Université de Rouen), Cauchemars, rêves et hallucinations, quand la nuit ne porte pas conseil dans les images satiriques (1780-1848).

– 15h50 : Barthélémy Jobert (PR, Université Paris IV-Sorbonne), La notion de « clair-obscur » chez les néo-classiques français, de David à Ingres.

–  16h10 : Michaël Vottero (Docteur en Histoire de l’Art, Élève conservateur de l’Institut National du Patrimoine), Les épisodes nocturnes de la Révolution française dans la peinture du XIXe siècle.

– 16h30-17h30 : discussion et conclusions